Depuis maintenant 10 mois dans le pays, Mathieu, frère spiritain affecté au Pakistan, continue son intégration progressive dans une culture qui n’est pas si facile d’accès et nécessite avant tout beaucoup de patience pour être apprivoisée… Voici quelques extraits de sa dernière lettre de nouvelles.
Après la relative fraîcheur de Murree, le retour à Mirpur Khas dans une ambiance terriblement chaude (40°C) et humide (l’après-mousson) ne fut pas sans difficulté. Fin septembre, je me suis installé à la maison de formation des franciscains, à Karachi, pour la suite du programme de langue, prévu jusqu’à Pâques 2020. Changement radical d’univers, dans une mégapole portuaire d’environ 16 millions d’habitants qui s’étale entre la mer d’Arabie, le désert et les mangroves du delta de l’Indus. Karachi est une ville cosmopolite où tous les groupes ethniques et minorités religieuses du Pakistan se côtoient. Dans les années 80, ce patchwork de cultures, langues et traditions a dégénéré en une guerre des gangs qui a fait de Karachi une des villes les plus violentes au monde. Heureusement, la situation a radicalement changé ces dernières années, et on peut désormais y circuler librement sans problème.
Ici l’omniprésence musulmane est évidente : l’appel à la prière rythme les journées, et le vendredi, les haut-parleurs des mosquées ne nous laissent pas tranquilles ! Mais on s’y habitue aussi, et la cloche du séminaire interdiocésain ne se laisse pas intimider. Dans la rue, surtout des hommes, comme ailleurs, mais on voit aussi des femmes, voilées ou non, en burka ou en tenue occidentale. Karachi est aussi un des rares endroits au Pakistan où l’alcool est en vente libre pour tous, musulmans compris (mais dans des magasins autorisés, et très discrets). Il semble y avoir ici une certaine ouverture, avec en tous cas une élite aisée qui se permet beaucoup de choses, parle anglais parfois même mieux qu’ourdou, porte des jeans, voyage à Dubaï et aux USA et rêve d’un Pakistan occidentalisé.
L’Eglise catholique à Karachi a une présence discrète mais reconnue, via quelques bâtiments emblématiques (belle cathédrale néogothique, collèges réputés), mais surtout de nombreuses oeuvres : hôpitaux, écoles, foyers, orphelinat, etc. Le seul monastère du Pakistan se trouve aussi ici. C’est encore à Karachi qu’a été fondée en 1937 une congrégation féminine très active auprès des pauvres. Je découvre l’Eglise du Pakistan, certes minoritaire et marginalisée, mais aussi à l’image d’une société qui est très hiérarchique, cloisonnée, corrompue…
Un des grands avantages pour moi de résider plusieurs mois à Karachi est de me donner la possibilité de me construire un réseau d’amis et de relations, ce qui est précieux pour mieux comprendre la société, avoir des gens à qui parler, des lieux où se ressourcer, et aussi des appuis éventuels. En dehors des réseaux « cathos », j’ai pu rencontrer grâce à Couchsurfing plusieurs musulmans pakistanais que je vois de temps en temps pour un chai/paratha au café pachtoune du coin, ou bien une sortie, un dîner, etc. Occasion de nombreux échanges sur la culture pakistanaise, la société, la religion, et de pouvoir faire part de mes découvertes et étonnements dans un milieu bienveillant. La très grande majorité des pakistanais que je rencontre sont très fiers de leur pays et surtout très soucieux de son image à l’étranger, et me demandent toujours ce que je pense du Pakistan, en attendant de moi une réponse du style « j’adooooore!! ». Pour l’instant, c’est encore difficile pour moi de répondre… mon état d’esprit vis-à-vis du pays reste assez complexe. Comme partout, il y a du bon et du mauvais.
Face à la mobilisation internationale sur l’urgence climatique, qui commence à se faire entendre de plus en plus (et pourtant on est encore très loin de la mobilisation qu’il faudrait avoir au vu des enjeux), je suis souvent déprimé de voir qu’au Pakistan, la route est encore très, très longue. Au mieux, les programmes de protection de l’environnement se contentent de planter des arbres (qui parfois sèchent faute de soins). Et pourtant, la situation est catastrophique : désertification et salinisation des terres agricoles, « plastification » de tous les espaces publics, rarification de l’accès à l’eau (non potable), etc.
Je suis rentré à Mirpur Khas dans ma communauté pour les vacances de Noël : ça a vraiment été un grand bonheur pour moi de retrouver les confrères, partager de bons moments festifs, pouvoir échanger les découvertes, joies et les peines, profiter de cette ambiance fraternelle qui est si précieuse. Les températures fraîches des soirs d’hiver nous ont permis d’agrémenter plusieurs soirées d’un bon feu de cheminée, qui réchauffe les corps et les cœurs. A Karachi, même si extérieurement tout va bien, j’ai souvent des coups de blues. L’intégration au Pakistan demande beaucoup de temps et de patience ; j’ai souvent l’impression d’être encore dans la phase d’atterrissage… Beaucoup de frustrations, mais je n’ai pas le choix : pour durer ici, il faut aller lentement.
Entre ville et campagne, quelle différence ! Je suis touché par le mode de vie simple des Marwaris-bhils que les spiritains accompagnent dans la région du Sindh. J’aime passer du temps avec eux, et essayer de communiquer, notamment avec les enfants…