Le 5 janvier 2014 Benjamin Osio a fait ses vœux perpétuels à la chapelle de la Maison Mère des Spiritains à Paris. Quelques semaines plus tard, nous avons l’occasion de lui poser quelques questions sur sa foi, son parcours de vie et son regard sur le monde.
Benjamin, le 5 janvier 2014 tu as fait tes vœux perpétuels, tu t’es donc engagé définitivement dans la Congrégation du Saint Esprit. Comment tu te sens aujourd’hui ?
Je me sens bien. Le passage a été beaucoup plus simple que je ne l’imaginais… avant l’engagement, je me posais beaucoup de questions, j’étais plein d’hésitations… et finalement tout s’est passé assez simplement, comme une évidence, comme le prolongement naturel des longues années de préparation.
Tu peux nous retracer un peu les débuts de tout cela ?
Je viens d’une famille catho, j’ai hérité de la foi dans ce terreau familial. J’ai eu assez tôt je crois, une relation forte avec Dieu. Bien sûr, j’ai traversé des crises, des moments de doutes et des moments lumineux, comme toute croissance normale.
Vers mes 18 ans, en terminale, j’ai fait une retraite dans un Foyer de charité. Une expérience décisive. C’est là que ma foi est devenue personnelle. Je me suis rendu compte que Dieu me connaissait, que je pouvais entretenir une relation d’amitié avec lui. A ce moment-là, il est devenu proche, avant il faisait partie du décor.
A partir de là, sans prendre de décision définitive sur l’avenir, je savais que la foi allait être au centre de ma vie. Je me disais : si Dieu existe, c’est quand même inouï ! Souvent on finit par s’y habituer, mais quand on pense qu’un Dieu vivant existe, qu’il nous a créé, qu’il est là avec nous, présent, qu’il est venu partager notre humanité, qu’il est mort et ressuscité… c’est dingue ! je ne peux pas considérer ça comme un sujet quelconque.
Et comment est-ce que tu as mis tes convictions en pratique ?
Je ne suis pas entré au séminaire à 18 ans, j’ai laissé mon avenir ouvert. J’ai fait des études d’architecture, qui sont des études longues. J’ai vécu la vie étudiante, l’éveil à plein plein de choses : l’affectivité, l’amitié, l’indépendance. J’ai passé mon diplôme en l’an 2000. J’ai laissé la question de ma vocation en suspens durant ces années-là : je pourrais être architecte, ca me plaît. Je pourrais me marier, avoir des enfants, ca me plait. Mais je pourrais aussi faire autre chose, répondre à un autre appel…
A 26 ans, après mon diplôme, je suis envoyé à Bordeaux, pour mon service militaire. Après cela, je trouve à Bordeaux même un emploi d’architecte, vraiment bien, sur tous les plans. Deux ans plus tard, j’ai l’occasion de faire un pèlerinage au Sinaï avec un groupe de jeunes. Je vis un temps spirituel intense, et en même temps, je rencontre une jeune femme… je tombe amoureux d’elle, et elle aussi. Ça devenait compliqué : à la fois il y avait cet appel profond à un don total, et voilà que je fais cette rencontre… je ne savais plus où j’en étais… Un prêtre, qui m’accompagnait, m’a rassuré : tout cela était bon et ‘normal’. J’ai donc avancé avec cette fille, et peu de temps après, grâce à elle, je me suis rendu compte que j’allais davantage m’accomplir dans une vie moins ‘exclusive’, plus large et plus universelle que le cadre d’une famille, malgré l’amour que je ressentais pour mon amie. Finalement, c’est ce même amour qui m’a appelé à une plus grande disponibilité et qui m’a ouvert les portes de la vie consacrée.
Je me suis alors mis à la recherche d’une communauté. Et il se trouve que j’habitais très proche de la communauté spiritaine à Bordeaux. Je m’y arrêtais parfois, en passant. Un missionnaire âgé m’accueillait. Je ne connaissais pas les spiritains avant, mais leur style de vie correspondait à mes attentes : une vie en communauté simple, une vraie proximité avec les plus nécessiteux. On m’a aussi présenté le Père Libermann, qui m’a beaucoup parlé par son expérience personnelle…
Et puis, tu as commencé ton « parcours » spiritain ?
Oui. J’ai d’abord vécu pendant une année dans un foyer à Chevilly-Larue, puis deux ans en Tanzanie, à Zanzibar. Une rencontre forte avec une autre culture, avec un peuple que j’ai beaucoup aimé, une autre religion, l’islam, un appel au dépassement des frontières…
Quand on s’intéresse aux gens, quels qu’ils soient, une fraternité s’installe naturellement. Et elle est évangélique : Jésus proposait de vivre cette fraternité, avant même que les croyants ne fondent, à sa suite, une Église et une religion instituée.
Après cela, j’ai commencé ma formation plus ‘académique’ : une année à Lille, avec des cours au séminaire, puis une année de noviciat, pour préparer l’engagement religieux, à Chevilly-Larue. Et enfin trois ans de théologie au Centre Sèvres à Paris. On était une bonne douzaine dans notre communauté d’étudiants à Clamart. Ça s’est bien passé dans l’ensemble, mais bizarrement, à la fin de la formation, en 2010, je me suis senti complètement vide. J’aurais pu m’engager définitivement, me faire ordonner diacre, mais j’en étais incapable. J’avais beaucoup appris, mais psychologiquement, j’étais ‘cramé’. J’ai alors choisi de renouveler mes vœux temporaires pour trois ans, comme le permet la Règle de Vie spiritaine. J’avais sans doute besoin de revenir à une vie d’action, de relations plus concrètes.
Où as-tu donc passé ces trois années ?
J’ai vécu une année à la paroisse St Stanislas des Blagis, en banlieue parisienne, cela m’a fait beaucoup de bien. Ensuite je suis parti pour une année en République Démocratique du Congo. Et enfin, je suis arrivé ici, à la Maison Mère de notre Congrégation, rue Lhomond à Paris. Actuellement, j’y rends différents services : à la librairie, pour certains travaux d’aménagement de la maison. Je travaille aussi à distance, comme architecte pour des projets de construction, notamment au Cameroun. Je participe activement à la liturgie de la communauté, je rends visite aux personnes âgées dans une maison de retraite du quartier. Je suis aussi engagé dans l’association Partenia 2000, qui lutte contre toutes formes d’exclusions.
Et puis, il fallait prendre, de nouveau, une décision ?
Oui. J’ai fait en 2013 une demande d’admission aux vœux définitifs et d’affectation missionnaire. L’intérêt de cet engagement, c’est que ce n’est pas nous qui nous affectons nous-mêmes, mais nous recevons une mission. Je trouve ça très important et aussi très libérateur. On est envoyé par le Seigneur à travers l’Église et la Congrégation, pour un service auprès des gens.
Benjamin, maintenant je vais te proposer un mot, et je t’invite à dire spontanément ce que ce mot ou cette notion t’inspirent. On y va ?
– « Pape François »
Bras et cœurs ouverts, appel à la mission.
– « La Russie »
Un rendez-vous manqué avec l’Europe. Je suis triste du fait que l’Europe ne s’ouvre pas davantage à l’Est…
– « Ta musique préférée »
La musique « en live ». C’est-à-dire non pas un style de musique particulier mais des gens qui jouent et chantent à leur façon, selon leur culture.
– « Les interventions militaires françaises en Afrique »
Je suis partagé parce qu’à la fois c’est parfois nécessaire, et en même temps ça cache beaucoup de choses, d’intérêts inavoués…
– « Un prophète »
Moïse. Pour son sang froid et son humilité.
– « L’islam »
Pour moi l’islam reste lié à mon expérience à Zanzibar. C’est l’histoire d’une amitié sincère. J’ai été là-bas dans une mosquée, invité par des musulmans, et ce que j’ai ressenti c’est : nous sommes frères.
– « Le mariage pour tous »
Je suis un peu triste devant certaines crispations autour de ce sujet. Des gens qui ont peur… je ne sais pas. Ça ne me dérange pas le mariage civil pour tous, qui suis-je pour juger, d’abord ?
– « Israël »
Israël. Oui, un lien fort entre Israël et l’Église, Israël et le reste du monde. Le pays des prophètes et de Jésus. Et aujourd’hui, une grande blessure, de l’incompréhension, vraiment, par rapport à la politique israélienne.
– « Facebook »
J’y suis pas arrivé. Je reconnais que ça peut être utile, mais je n’arrive pas encore à m’y mettre.
Une dernière question : ton engagement en tant que religieux missionnaire, tu voudrais le vivre comme frère ou bien aussi dans le sacerdoce ?
La chance que nous donne l’engagement religieux c’est qu’on peut être prêtre sans être complètement absorbé par une vie sacramentelle et paroissiale. En tant que prêtre spiritain, on peut faire beaucoup de choses, y compris continuer à travailler dans différents domaines professionnels. Et en même temps, pour moi, devenir prêtre, ça correspond à un appel ressenti depuis longtemps… Donc, si tout va bien, j’espère être ordonné bientôt. Être prêtre, c’est la possibilité de célébrer la foi des gens, ensemble. Religieux, frère ou prêtre, c’est un appel que l’on reçoit. Il ne s’agit pas d’un choix purement personnel du genre : « tiens, qu’est-ce que je vais faire, boulanger, menuisier ? » Non, il y a là quelque chose qui nous dépasse complètement…
Propos recueillis par Olaf Derenthal