Mathieu, volontaire aux Philippines

PhilippinesMathieu, 34 ans, fut volontaire pendant deux ans (2007-2008) comme ingénieur agronome. Envoyé par la Délégation Catholique pour la Coopération, il a partagé la vie quotidienne d’une communauté spiritaine.

Pourquoi partir en volontariat ?

Il y a tout un ensemble de raisons qui m’ont poussé à faire cette expérience. Je peux relever à la fois un certain goût de l’aventure, de la découverte d’autres cultures, d’autres amis. Et puis bien sûr il y avait le souhait d’apporter quelque chose, même minime, à la construction d’un monde plus fraternel, plus humain, plus équitable. C’était aussi pour moi une façon de me sentir plus proche des réalités du monde, avec toute son ambiguïté, sa disparité, mais aussi sa richesse humaine. En me confrontant à d’autres façons de vivre, j’avais la volonté de réfléchir à mon parcours passé et à venir, avec l’espoir d’être bousculé, de trouver de nouveaux repères, de revenir changé.

Le contexte de la mission
Je suis arrivé au sein d’une mission spiritaine sur la commune d’Iligan, qui est une petite ville de la côte Nord-Ouest de l’île de Mindanao, au sud des Philippines. Les spiritains sont présents à Iligan depuis 1997, où ils ont notamment la responsabilité de la paroisse Notre Dame de Fatima, dont le territoire, semi-montagneux, regroupe les 3 plus grands barangays (canton) que sont Digkilaan, Rogongon et Mainit. Digkilaan, où se situent le lycée et la paroisse, est relié à la ville par une route carrossable mais que partiellement cimentée. Du fait de l’immensité du territoire de la paroisse, celle-ci est subdivisée en 37 chapelles. Chaque chapelle est le lieu de rassemblement d’une petite communauté ecclésiale de base. La population se répartit principalement entre les lumad (qui sont animistes), les chrétiens (majoritaires) et les musulmans.

De quoi vit-on dans cette région ?
La plupart des habitants de Digkilaan sont des agriculteurs. Certains possèdent leur terre, mais la grande majorité se compose de métayers ou de travailleurs agricoles sans terre. Les exploitations sont toutes petites (autour de 1 ha en moyenne), comprenant le plus souvent des cocotiers, bananiers, maïs, quelques légumes, quelques poulets et éventuellement un cochon. Il s’agit le plus souvent d’une agriculture de subsistance, dont le but essentiel est de nourrir la famille, ce qui ne permet pas un niveau de vie élevé. Les familles, à part quelques rares exceptions, vivent dans des huttes de bambou et nipa (c’est une sorte de palme).

Le projet de développement auquel j’ai participé fut initié par les spiritains. Il correspondait à une volonté d’améliorer les conditions de vie des paroissiens, notamment via l’agriculture. Avec le père Henri Medjo, spiritain camerounais, nous avons travaillé sur un projet de ferme de démonstration qui venait d’être mis en place. En complément, un programme d’aide à l’éducation via l’ONG «Enfants du Mékong » a été lancé en 2008. Il s’agissait ici de financer les études primaires et surtout secondaires des enfants les plus pauvres mais qui réussissent bien en classe, et aussi de développer une dynamique vertueuse avec les écoles, les entreprises locales et les villages.

Concrètement, quelles étaient les activités ?
Mes activités étaient très variées, car le périmètre initial du projet s’est beaucoup élargi :
– j’avais la gestion de la ferme de 2 ha dans le but de la rendre autosuffisante, et qu’elle puisse servir de référence et de modèle pour les agriculteurs du barangay, par le biais de formations et grâce à un réseau de partenaires.
– nous avons aussi lancé un petit atelier pour la transformation des produits agricoles. L’idée étant de mettre ce lieu à la disposition de tous les paroissiens et d’en profiter pour donner de petites formations sur les thèmes de la transformation des produits, l’hygiène ou encore le conditionnement.
– enfin, avec le lancement du programme de parrainages « Enfants du Mékong » je me suis occupé de la comptabilité, du suivi de la correspondance entre les enfants et leur parrain, de l’achat des fournitures scolaires, du suivi auprès des écoles, de l’organisation des réunions et des différentes activités liées au programme.

Philippines - Mathieu au micro

Comment s’est passée la rencontre avec la culture philippine ?
Les Philippines sont un pays vraiment attachant. C’est d’abord un pays magnifique, verdoyant, avec des paysages extraordinaires de lagons, de jungle, de volcans. La culture philippine est à la fois asiatique et européenne, polynésienne et américaine. On ressent bien tous ces mélanges quand on rentre en relation avec les Philippins. C’est un peuple très accueillant, très doux, avec une profonde joie de vivre et un optimisme incroyable. On rentre facilement en relation, mais en même temps, cette apparente facilité pourrait parfois faire oublier le grand fossé culturel qui nous sépare et les enjeux d’un vrai dialogue en profondeur. Si on dépasse le premier stade de l’échange d’information, on se rend compte combien il est difficile de vraiment entrer en profondeur dans leur mode de pensée, dans leur façon de se représenter et d’appréhender le monde extérieur. Le vrai dialogue n’est jamais complètement acquis et nécessite de toujours se remettre soi-même en question, sans pour autant abandonner tout ce qui fait notre propre culture.

L’expérience du retour
On parle souvent du retour comme d’un nouveau départ, un vrai choc culturel en sens inverse. Pour moi ça n’a pas vraiment été le cas, même si les dernières semaines étaient très émouvantes et le départ déchirant. Quand je suis rentré en France, j’ai trouvé du travail en entreprise quasi-immédiatement et avec le déménagement et le nouveau contexte ça ne m’a pas permis de trop réfléchir. En fait, ce n’est qu’après quelques mois que tout ce que j’ai vécu aux Philippines est remonté à la surface et que j’ai pu relire petit à petit cette expérience. Le questionnement de fond qui m’avait poussé à partir demeure, et c’est en puisant dans ce qu’on a vécu qu’on arrive progressivement à avancer dans la réflexion. J’ai eu la chance pour cela de retrouver les spiritains à Paris, et d’être accompagné humainement et spirituellement.

Les fruits du volontariat
Un des premiers enseignements de mon volontariat moi a été, au-delà bien sûr de la pratique du dialogue et de la découverte passionnée d’une autre culture et d’un autre pays, la question de la cohérence de vie. En effet, aux Philippines, je n’étais pas du tout dans le métro-boulot-dodo : toutes mes activités, qu’elles soient à la ferme, à la maison de formation des spiritains, à la paroisse ou avec les amis, avaient une même cohérence, un même but. Je ne pouvais plus séparer le « privé » du « professionnel », avec tout ce que ça peut comporter dans notre société de clivage, voire même de schizophrénie entre deux parties de la vie, qui parfois ont des objectifs différents. Le volontariat m’a fait prendre conscience que ma vie ne pouvait plus être cloisonnée, et que si on a un but dans la vie, il faut s’y consacrer totalement.

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