La médiatisation de la détresse des étudiants entre couvre-feu et confinement a révélé une réalité préoccupante. On est parti à la rencontre des étudiants des foyers spiritains. Yann-Melchior, Simon, Nicodème, Théo et Wilfried, étudiants résidant à Lille, Strasbourg et Paris nous livrent sans fard leur ressenti dans l’épreuve et ce qui les aide à tenir.
“C’est dur de dire ce qu’on est en train de vivre. Notre vie en ce moment est un cycle qui se répète. La concentration est toujours sur les études mais seuls le temps d’activité physique personnel et le temps de prière nous défoulent pour rester concentrés.” Simon est arrivé en septembre dernier au foyer à Strasbourg. Landry Ekomle, spiritain et accompagnateur de la dynamique du lieu met à profit son charisme de philosophe pour l’aider à prendre de la hauteur.
Désenchantement passager
Pour beaucoup, vie étudiante rimait avec liberté en dehors du cadre familial, rythme intense, université ou école la journée et sorties le soir. Et cette année il n’en est rien. “C’est difficile de rester dans un même espace. De manger, étudier, se distraire sans contact extérieur. On comprend la situation des prisonniers privés de leur liberté. Personnellement, la déprime s’installe parfois. On se sent comme mort de l’intérieur. Mais il faut dépasser cette étape pour voir la lumière, se recentrer. Le Christ devient alors un refuge.” Nicodème ne masque pas sa saturation face à la privation répétée de libertés mais a senti la force du roc auquel s’accrocher.
Yann-Melchior étudie le commerce en foyer à Lille. Il reconnaît que ces premiers mois ont pu être source de désenchantement.“J’ai du mal à accepter ce changement radical dans mon mode de vie, car j’espérais une vie à Lille assez différente. Le temps des soirées et des amis semble se terminer. Nous rentrons dans une ère individualiste et dématérialisée qui ne me tente guère.“ L’enjeu est alors de leur permettre de cheminer ensemble dans leur vie de communauté.
Relation au Seigneur entravée ou libérée?
Simon nous partage le sens d’échappatoire qu’il donne à la prière.“Les contraintes de chaque jour me rappellent combien je suis une faible créature sans la présence de Dieu. Le temps de prière me réconforte à chaque moment où je me sens fatigué et triste et me donne la chance de communiquer avec le Seigneur. La prière est un temps de retour au calme intérieur. Elle me redonne la clarté de mes pas, grâce au Seigneur.” Nicodème va dans son sens. “J’ai essayé de suivre l’eucharistie chaque jour, afin d’échapper à mon quotidien.”
Chaque échange avec un des jeunes interroge le lien entre leur liberté d’aller et venir vers l’extérieur et ce qu’ils peuvent y gagner dans leur liberté intérieure. Yann Melchior fait le lien avec aplomb. “Avec la diminution de la liberté physique, extérieure, la liberté intérieure devient essentielle pour garder une paix intérieure. Elle ne peut se construire sans Dieu. Je m’efforce d’entretenir un lien renouvelé avec le Seigneur. Je ne me suis pas laissé étouffer par la tourmente et la déprime, je garde espoir avec Dieu.” Théo, étudiant en droit et sciences politiques a aussi pris le pli de ne pas se plaindre. “C’est pas la solution! C’est souvent dans les situations où on est seul, qu’on réaffirme sa foi en Dieu et en l’homme. Toutes ces libertés réduites n’entament pas mon libre arbitre. Je me sens même moins esclave de moi-même. Je médite le Livre de Job et réalise que ma liberté intérieure de croire en Dieu me donne ma force.”
Une nouvelle conscience des libertés primaires
La vertu de la crise semble leur permettre de mesurer certaines libertés dont ils ne semblaient avant pas mesurer la chance d’en jouir. “J’arrive toujours à rencontrer les autres, de manière moins régulière, donc je profite plus de ces moments et j’ai pris conscience de leur importance,” nous dit Yann-Melchior. Nicodème ajoute :“J’ai pris conscience de l’utilité des activités qui faisaient mes journées d’avant: aller à mon job étudiant, rencontrer des gens, tout cela me permettait de vivre aussi.”
Une expérience de désert : moins dispersé, plus centré
“Les confinements m’ont amené à revoir ma relation personnelle avec Dieu. Comme tout le monde j’ai été mis face à moi-même,” confie Yann-Melchior. Pour Wilfried, étudiant doctorant d’origine ivoirienne, ces mois le rapprochent du désert : “En Côte d’Ivoire j’étais assez attiré par les charismatiques, l’évangélisation avec du bruit. Ces derniers mois j’ai expérimenté que le silence a sa place dans la vie du chrétien.”
On sent ces jeunes finalement assez conciliants. Leur confiance en Dieu ne semble pas sans lien avec leur sérénité. La spiritualité spiritaine ne jaillit-elle pas déjà sur leur vie à proximité de communautés? Ils nous enseignent à consentir à la grâce de Dieu.
“Dans le temps de tempête, l’âme sait attendre les moments de Dieu, elle se garde de se décourager ; jamais de tristesse, jamais d’irritation, jamais de dépit, ni contre elle-même, ni contre d’autres. Elle reste toujours semblable à elle-même : remplie de Dieu, elle sait patienter comme Dieu ; elle agit selon les lumières et selon la force qu’elle obtient d’en-haut”. Père Libermann |
Estelle Grenon