Marc Pons est spiritain. Il travaille actuellement au siège de la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC) à Paris. Marc est prêtre mais il est aussi clown ! En accord avec la congrégation, il a fondé le 15 novembre 2014 « ClownEsperance », une compagnie chrétienne qui rassemble 9 clowns bénévoles. Nous l’avons rencontré.
Marc, peux-tu nous en dire plus sur « ClownEsperance » ?
« ClownEsperance », c’est une « œuvre d’éducation populaire », selon la présentation que j’en ai faite à l’équipe provinciale des spiritains. Elle rassemble en une compagnie une dizaine de clowns bénévoles, dans le but d’aller dans des lieux de pauvreté et de précarité. Et ce, toujours en lien avec des associations de terrain, jamais tout seuls. Des demandes nous ont été faites : intervenir dans un restaurant associatif, assurer des prestations ponctuelles pour La Luciole, une association familiale de soutien aux parents et aux jeunes toxicomanes, Intervenir régulièrement auprès de jeunes adultes autistes ou ayant des troubles autistisques. Nous aimerions bien aller « clowner » dans le métro. « ClownEsperance » c’est aussi de la formation. L’idée est que les personnes en situation de vie précaire puissent s’adonner à cet art, pour pouvoir donner à leur tour.
Je commence à me rendre compte que « ClownEsperance » correspond aussi à un besoin au niveau catho : car il n’y a pas vraiment de lieu dans l’Eglise qui offre un espace où des chrétiens puissent pratiquer l’art du clown sans devenir pour autant intermittents du spectacle. Attention, je précise ici que le but n’est pas de rester entre nous, d’être des clowns cathos pour des cathos mais c’est d’aller partout ! C’est parce qu’on est des « christophores » avec un nez rouge, que quand on va dans un endroit, c’est Lui qui opère !
Quel lien y a-t-il entre le fait d’être spiritain, et l’art du clown ?
En fait, le clown, c’est pas un truc réservé à quelques-uns ! Dans son petit texte sur les clowns à l’hôpital (Rire, guérir, des clowns qui guérissent), Catherine Dolto explique qu’on assiste aujourd’hui à une hécatombe de clowns… Pour la simple raison qu’on vit dans un monde où les gens se sont enfermés dans la rationalité. Et le clown lui n’est pas dans la rationalité, ni dans l’effectivité, mais il est dans l’affectivité. Le clown est fort de sa naïveté, de son innocence, de sa férocité ludique, de sa tendresse. Il croit à l’avenir, dur comme fer. Il ne fait pas partie de ceux que les leçons de la vie ont rendu raisonnables. Le clown est imperméable à la raison. C’est sa force, dans un monde où tout veut nous réduire au renoncement grâce à des arguments objectifs. Le clown refuse l’objectivité, il sait qu’on en crève de ces choses-là. Il choisit toujours l’Affectivité contre l’Effectivité.
Pour moi ce qui s’est passé, avant de découvrir que j’avais ça en moi, le point crucial, ça a été ma conversion, à 17 ans. Il y a eu un bouleversement qui a fait que d’un seul coup, j’ai connu la joie ! Alors qu’avant, j’étais renfermé sur moi, timide. Timide et réservé, je le suis resté mais depuis que la joie a élu domicile chez moi je ne suis plus enfermé sur moi. Ceux qui me connaissent n’ont pas été surpris de me voir maintenant faire du clown : ils m’ont toujours connu comme ça, à communiquer la joie autour de moi. En fait, le lien il est plutôt entre le clown et la vie chrétienne. Le travail du clown que je promeus, est en vue de la Mission. C’est-à-dire aller dans les lieux de précarité, dans les lieux où des gens ont perdu la capacité d’éprouver la joie. Je préfère parler de mission que d’évangélisation, car ce dernier terme est aujourd’hui trop connoté « annonce explicite (kérygmatique) de l’Evangile ». Ça peut être ça en effet, mais pas seulement !
Est-ce que la spiritualité de François Libermann t’inspire dans ton activité de clown ?
Carrément ! En fait, il me donne plutôt des clefs de lecture et de compréhension du travail du clown.
Libermann précise à ses missionnaires que c’est Jésus qui vit dans ses envoyés. Ceci donne une couleur particulière à l’art du clown que je propose de travailler dans une perspective chrétienne. En effet je fais travailler cette dimension de la vie missionnaire pour que quand le clown entre quelque part, c’est Lui le Christ qui entre ! Et c’est grâce à ça que des choses s’opèrent.
Libermann enseigne que la vie de communauté repose sur l’union d’esprit et de cœur. De cet enseignement, je retiens une règle de conduite : « quand tu n’as pas de bonnes raisons de dire non, dis oui ! » Et ça, c’est le clown ! Car le clown, son truc c’est de dire oui. Il ne dit jamais non. Avec le clown on est plus dans le « oui et… » et jamais dans le « oui mais… » Car c’est quelqu’un qui est d’abord dans la relation, profondément.
Libermann dira à la fin de sa vie « Dieu c’est tout, l’homme n’est rien ». Dans le clown, j’ai beaucoup développé ça. On n’en parle pas beaucoup dans les formations à l’art du clown, mais pour moi c’est important : pour rentrer dans le clown qui est en moi, il me faut passer par le rien, entrer dans cet espace intérieur où tu as l’impression qu’il n’y a rien. Et c’est parce que tu entres là que la vie fuse. Quand Libermann dit ça (dans le langage de son temps), je comprends que c’est grâce à ce passage par le « rien » que tout devient possible. C’est parce que tu consens à ce rien, que Dieu peut faire de grandes choses à travers toi. Quand je forme des clowns, je parle toujours de ça. Quand on a fait l’expérience de ce rien-là, en fait ce n’est pas du rien, c’est du silence, et ce n’est pas autre chose que la présence de quelqu’un. Quand le clown fait cette expérience-là, il entre dans ce qu’il est c’est-à-dire quelqu’un de formidablement présent. Travailler sur le clown, c’est travailler sur la présence.
Merci beaucoup. Voici encore quelques questions subsidiaires pour mieux te connaître, à répondre en quelques mots…
Ta figure biblique préférée ? La vierge Marie, pour son « oui ».
Ce qui te mobilise ? La résolution de conflits, et les situations d’ « injustesse »…
Ton personnage de fiction préféré ? Zorro, le justicier
Ton pays préféré ? Le Sénégal, c’est mon pays : j’y suis né et ma mère était de là-bas.
Une spécialité culinaire ? La glace
Que penses-tu de la fête des voisins ? Ça c’est un truc génial ! Il faudrait que ça se répande de plus en plus ! D’ailleurs, je me demande pourquoi on le fait pas ici…
Propos recueillis par Mathieu Boulanger cssp