Au cœur de la Castellane, dans un quartier de Marseille souvent cerné de policiers, vit René Soler, père spiritain. En 48 ans de mission, il n’a cessé de se laisser guider par le souffle de l’Esprit, habité par un désir profond de dialogue interculturel et interreligieux.
En plein mois de ramadan, les allées de la cité sont calmes en journée. Quelques enfants jouent d’un côté, les plus vieux, les Chibanis discutent au loin tandis que les femmes restent entre elles à l’ombre. René reçoit les salutations des uns et des autres. Habitant la Cité depuis quatre ans, sa présence dans les murs est bien connue. Il nous y a raconté son parcours ancré dans l’amour pour Haïti et l’Algérie.
Une rencontre déterminante avec Haïti
Né en 1938, René Soler grandit en Algérie. C’est là bas qu’il sent venir en lui la vocation de prêtre. « Je voulais être missionnaire », nous confie-t-il d’emblée. Séminariste à Oran, il doit rentrer en France à l’aube de l’indépendance. Mais ses liens avec les Algériens persisteront. Après quatre ans de théologie, il découvre à 29 ans son premier lieu de mission : Haïti. Il éprouve un véritable coup de foudre pour le peuple haïtien, sa culture, son énergie, sa foi. Son premier pays de mission oriente sa vie, il s’y voit vivre tout son ministère.
Soutien de vie au peuple haïtien éparpillé en migration
Mais le Seigneur en a décidé autrement. Après deux ans déterminants, il doit quitter le pays après l’arrivée au pouvoir du nouveau dirigeant, « Papa Doc » Duvalier. Comme de nombreux Haïtiens, les religieux étrangers sont contraints à l’exil. Il passe alors deux ans à Brazzaville avant de rejoindre le quartier de Brooklyn à New York où il part à la rencontre des communautés haïtiennes. Les Haïtiens migrants sont heureux de partager avec un prêtre proche de leur culture. Entre éducation populaire, aumônerie de collège et animation pastorale, il dynamise la vie locale. Puis il apprend que l’Eglise des Bahamas a besoin d’un prêtre qui parle créole. « Je parle créole, je l’enseigne, le chante et le danse alors je me suis senti appelé.»
Retour sur une terre promise en proie à la violence
C’est seulement en 1986 à la chute du régime qu’il retourne vivre sur la terre haïtienne. Il retrouve un pays où règne en maître violence tant la pauvreté est criante. La pauvreté le scandalise mais ne le laisse pas vaincu. Il monte une ONG pour la production et le montage de supports multimédias : films documentaires, reportage journalistique… Rien de tel que de canaliser l’agressivité par un projet en donnant la parole aux habitants pour qu’ils présentent leur quartier, leur pays. Avec un matériel photo et vidéo performant, les jeunes se forment sur le terrain, ils s’approprient ce nouvel outil d’expression. « Je vivais depuis 30 ans avec les Haïtiens, on se comprenait, on s’apportait mutuellement beaucoup.»
Sur les hauteurs de Marseille, la rencontre avec le monde entier
« J’ai demandé à 70 ans à venir sur Marseille. Ayant vécu loin de ma famille pendant 40 ans, j’avais envie de m’en rapprocher et notamment de revivre avec les Arabes comme dans ma jeunesse. » Aux portes de l’Estaque, ce village de pêcheurs au patrimoine industriel et paysager célébré par les peintres il découvre la vie en Cité. Sur ces hauteurs de Marseille, vivent les grandes communautés kabyles et gitanes de France.
Il rayonne sur 6 églises avec des prêtres de l’Emmanuel. Ce jour là c’est à la paroisse saint André, dans une grande aube verte laissant apparaître ses sandales qu’il célèbre la messe pour le défunt Felix d’une famille de Gitans. «La paix soit avec vous » n’est pas suivi de l’habituel « Et avec votre Esprit ». Il précise alors à quel moment l’assistance est invitée à se lever, à s’assoir. Il explique le sens de la Communion ou de la paix du Christ. « On veille à une liturgie de la plus grande simplicité possible ». Il n’a pas à dire la messe tous les jours dans un quartier à 95% musulman mais il a suffisamment de ressources créatives pour tisser du lien.
Ici il y a 8000 habitants originaires de 70 pays dont un tiers d’Afrique. « C’est formidable de vivre dans une communauté si interculturelle. Mais on est peiné d’en voir beaucoup démunis ». Il y a 40% de chômage. Alors l’appât du gain conduit certains à prendre le chemin de la vente de stupéfiants. Quand on l’interroge sur les dealers, il répond, pragmatique : « Moi je dis s’il n’y avait pas de clients il n’y aurait pas de vendeurs. »
Une bibliothèque en plein air : vecteur de lien
« J’ai proposé mes services en arrivant au Centre socioculturel pour être écrivain public ». Mais son statut de religieux a embarrassé la direction, il s’est alors retiré. C’est alors avec des volontaires d’ATD Quart monde qu’il décide de monter une bibliothèque hors les murs après la sortie d’école. Des nattes au sol, des caisses de livres et de la gaieté suffisent à attirer les enfants et leurs parents. On peut développer leur créativité par la lecture, la musique, le dessin. Il se fait présence du Christ dans la discrétion et la simplicité.
Sans oublier la défense des intérêts du peuple haïtien même au loin. Il crée une association pour venir aux enfants appelés les Restavek (http://timoun-restavek.org/), les enfants domestiques dans des familles. Quand on lui parle de l’avenir de l’Eglise, il nous confie son souhait d’aller plus loin dans le lien Chrétienté-Islam pour mieux se comprendre.
Estelle Grenon, septembre 2013