Haïti chérie ! Petite terre des Caraïbes, air d’Afrique dans l’Océan, chargée d’histoire, meurtrie souvent. Ses mornes, ses côtes, ses villes, ses couleurs, sa culture si riche, et ses gens.
« Jésus vainqueur » : dépôt de boissons, « l’Eternel est grand » : pièces auto… les références religieuses s’affichent sans complexes sur les enseignes des boutiques ou les carrosseries des ‘tap-tap’, ces minibus qui sillonnent les rues étroites et presque toujours embouteillées de la capitale. La ville s’étale sans contrôle, grimpant jusque sur les flancs escarpés des collines qui l’entourent. En haut, souvent, les gens aisés, en bas, les plus pauvres, trop nombreux, et le commerce partout dans les rues, jonchées de détritus. Les klaxons, la musique, les cris, c’est vivant par ici !
Arrivé en Haïti en 2014, j’ai été plongé dans cette ambiance saisissante. Comme diacre, j’ai d’abord vécu un temps en paroisse, à Carrefour, en banlieue de Port-au-Prince. Un temps d’insertion bénéfique pour apprendre la langue créole et connaitre les gens, leur façon de vivre, de penser, de prier. Je garde un lien spécial avec ce quartier et ses habitants. Et si Carrefour est comme mes racines locales, le Collège St Martial est devenu assez rapidement mon véritable lieu d’insertion. Avant même mon passage en France (en juin-juillet 2015 pour mon ordination sacerdotale) j’y avais déjà vécu plusieurs mois.
Il faut dire que l’appel était fort. St Martial s’apprêtait à célébrer ses 150 ans d’existence, dont plus de 140 sous la tutelle des spiritains. Et l’école, sous l’impulsion du provincial et de l’Amicale des anciens élèves, devait lancer un grand projet de reconstruction, cinq ans après le séisme de janvier 2010 qui avait dévasté la ville et mis à terre l’ensemble des structures du Collège. Ce projet m’a largement
occupé, et m’occupe encore aujourd’hui. Deux ans après son lancement, nous sommes en train de terminer la section Primaire. Plus que de béton et d’acier, il s’agit de mobiliser des gens et de lever les fonds nécessaires. Ingénieurs, ouvriers, élèves, amis, donateurs… tous sont les pierres vivantes de ce projet qui doit assurer l’avenir des générations futures.
Mon rôle à St Martial est assez stratégique. En plus de la reconstruction, je suis chargé de la Pastorale du Collège. Cela me permet de côtoyer autant les élèves que les parents, les professeurs, les membres de l’administration, et de convoquer le Seigneur au cœur de nos activités quotidiennes. Catéchèse, messes de semaines ou dominicales, préparation aux sacrements sont mes premières responsabilités, auxquelles s’ajoutent l’organisation des activités sportives et culturelles, en particulier pour la section secondaire. Nous défendons les couleurs de St Martial dans plusieurs compétitions interscolaires, en basketball, en football, en athlétisme, et nous organisons nous-mêmes des événements dans l’enceinte de l’école.
Depuis 3 ans, je commence à bien connaitre les élèves et à les voir grandir. C’est une des joies de la mission. L’éducation est un enjeu majeur pour un pays qui peine à trouver son équilibre, à proposer à sa jeunesse des perspectives d’avenir crédibles. Lorsqu’on voit combien les parents se ‘sacrifient’ pour payer la scolarité de leurs enfants, combien ils espèrent en eux, cela nous pousse à prendre à cœur notre engagement et à donner le meilleur de nous-mêmes. Nous nous sentons souvent impuissants devant les défis immenses qu’Haïti doit relever, mais nous savons aussi combien ce peuple a fait preuve de courage et de foi pour tenir et avancer depuis les commencements. Kenbe la, pa lage ! (Tiens bon ne lâche pas !) aime-t-on à redire. Qui sait si le nouveau gouvernement, enfin constitué, ne nous réserve pas de bonnes surprises ? Y croit-on vraiment ? On espère en tout cas.
Outre ma présence à St Martial, je célèbre la messe deux fois par semaine chez les sœurs de St Joseph de Cluny, nos voisines et partenaires de longue date, et une fois chez les sœurs de la Charité de Mère Térésa qui tiennent un dispensaire dans un quartier populaire, voisin de l’école. Une manière de nouer d’autres liens et d’exercer mon ministère.
Etant une Province assez petite (16 spiritains et 9 jeunes en formation), nous retrouvons souvent nos confrères des autres communautés. D’autant que St Martial est un peu comme la communauté ‘centrale’, un point de ralliement fréquenté. Nous sommes cinq à y vivre. Trois sont directement impliqués dans la direction du Collège, deux sont là en stage, pour aider à la gestion de la maison ou de l’école, tout en poursuivant leur formation. Le provincial, quant à lui, a choisi de ne pas vivre à St Martial, mais à Carrefour où il est, en plus, curé de paroisse. Il se démultiplie comme il peut, mais ce n’est évident ni pour lui ni pour nous, qui aurions sans doute besoin de davantage d’accompagnement.
Les spiritains ont, en Haïti, la charge de quatre paroisses (dont trois en milieu rural), d’un centre social pour la jeunesse, d’une grande école (St Martial) et d’une maison de formation. Nous avons bonne réputation, ayant été parmi les tout premiers à s’enraciner dans le pays, sur les pas du Père Eugène Tisserant, dès 1843, pour poser les bases de l’Eglise locale. Au fil des années, nous avons traversé avec le peuple haïtien un enchaînement d’événements et de crises sans pareil. Les noms de Daniel Weik, d’Adolphe Cabon, d’Emile Jacquot, d’Antoine Adrien, de Max Dominique, de Jean-Yves Urfié ou de Wiliam Smarth sonnent encore comme des références pour beaucoup. A leur suite, nous cherchons à être fidèles à la mission que le Seigneur nous confie, au service d’un peuple et d’une Eglise qui cherchent aujourd’hui un nouveau souffle pour répondre au désir d’émancipation d’un pays si méritant.
Nous-mêmes, comme spiritains, devons avoir le courage de nous remettre en question, d’ouvrir davantage nos communautés à l’international, de reconsidérer le fondement spirituel de notre appel à être serviteurs et témoins du Christ, ensemble, pour qu’à travers nous soit perçue comme possible une société où chacun trouve sa place et où tous sont respectés.
C’est un défi immense, qui commence dans nos cœurs, là où l’Esprit peut prendre chair pour aimer et pour agir.
Bienvenue à tous en Haïti, nous vous y attendons et restons, de toute façon, unis par la prière et le soutien fraternel. Mesi anpil !
Benjamin Osio, CSSp