Aujourd’hui les religions sont vues par beaucoup comme sources de divisions et les identités s’affirment les unes contre les autres. Or la mission nous appelle à participer à une rencontre effective entre les hommes de différentes cultures, à entrer en dialogue avec les croyants d’autres religions, à construire notre identité dans l’ouverture aux autres. Cette mission commence au sein de la famille spiritaine où l’Esprit de Pentecôte nous a rassemblés. La diversité d’origine et de culture de ses membres « est vraiment partie intégrante de notre charisme dans le monde actuel » (Lettre du Supérieur général, Pentecôte 2013).
Jésus, étant parti de là, se retira dans le territoire de Tyr et de Sidon. Et voici, une femme cananéenne, qui venait de ces contrées, lui cria : Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David ! Ma fille est cruellement tourmentée par le démon. Il ne lui répondit pas un mot, et ses disciples s’approchèrent, et lui dirent avec insistance: Renvoie-la, car elle crie derrière nous. Il répondit: Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. Mais elle vint se prosterner devant lui, disant : Seigneur, secours-moi ! Il répondit : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants, et de le jeter aux petits chiens. Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Alors Jésus lui dit : Femme, ta foi est grande ; qu’il te soit fait comme tu veux. Et, à l’heure même, sa fille fut guérie.
Pour Matthieu, cette Cananéenne est étrangère et d’une autre religion, d’une identité qui l’exclut et rend la rencontre difficile. Mais « elle devient un exemple de foi pour les disciples et l’occasion pour eux de découvrir la vraie dimension du Christ, doué d’un rayonnement qui déborde les frontières d’Israël ». Jésus nous devance de l’autre côté de la frontière, parmi les nations. « Les barrières que mettent les hommes ne touchent pas Dieu dans son souci des petits ».
Instructions missionnaires de Libermann aux sœurs de l’Immaculée Conception de Castres (nov. 1847 ; dans Coulon et Brasseur, Libermann, Paris, Cerf 1988, p. 285-286)
Ce texte a été écrit au même moment que la célèbre lettre à la communauté de Dakar et du Gabon du 19 novembre 1847, qui est une véritable charte missionnaire pour nous. Dans ces instructions, Libermann invite à une qualité de relation qui favorise de vraies rencontres et l’annonce de l’Évangile.
« Un point doit attirer leur particulière attention ; c’est la manière de se conduire avec les pauvres noirs. Ces infortunés sont ordinairement méprisés et maltraités par les européens ; ceux mêmes qui ne les maltraitent pas agissent à leur égard de manière à les rabaisser à leurs propres yeux, ce qui leur donne des sentiments et des goûts bas, grossiers et misérables. Il faut que nous les traitions avec une bonté toute particulière, que nous les guérissions de cette opinion vile qu’ils ont d’eux-mêmes, que nous leur inspirions des sentiments plus élevés, et cela cependant sans favoriser leur penchant naturel à la vanité (…).
Je considère partout, même en Europe, comme un mauvais système, opposé à l’esprit de l’Évangile, de faire sentir aux gens la distance qui nous sépare par la tenue, la conduite, la manière de parler et d’agir. Mais ce système est particulièrement détestable envers les noirs, parce qu’il a pour effet de les dégrader trop dans leur esprit et d’effacer leur caractère. Notre système doit être celui de Notre Seigneur et de ses saints : charité pure, tendre, compatissante, effective, toute sainte et surnaturelle. Par la pratique de cette charité douce, aimable et bienfaisante, les sœurs missionnaires gagneront tous les cœurs, tout le monde craindra de leur faire de la peine. Cette charité doit toujours être accompagnée dans la conduite pratique des sœurs, de la modestie, du calme, de la gravité religieuse (…).
Une recommandation des plus importantes : les sœurs doivent avoir l’intime conviction qu’elles n’ont aucune idée de ce qu’elles auront à faire et de la manière dont elles doivent s’y prendre pour faire le bien. Elles doivent arriver sur la côte comme des enfants d’un an et se laisser guider en tout par Mgr Truffet ; faire leur possible pour revêtir l’esprit, la manière d’agir qu’il leur inculquera. En venant d’Europe, on est trop habitué aux façons européennes ; on veut les établir dans un pays où les mœurs et les habitudes sont radicalement différentes. On cherche alors, même sans y penser, à amener les gens du pays à prendre le ton et les manières d’Europe. Quel serait le résultat ? On gâterait tout ; on donnerait à ces bonnes gens, simples et naturels, des habitudes abâtardies. Ils commenceraient par ressentir de l’amour-propre sur leur nouvelle manière d’être, et bientôt ils prendraient les plus mauvaises habitudes des Européens.
Il faut donc prendre le contre-pied : laisser aux indigènes les mœurs et les habitudes qu’ils tiennent de la nature et du climat, les perfectionner et les adoucir peu à peu par les principes de la foi et des vertus chrétiennes, en corrigeant par d’insensibles efforts et surtout par l’exemple ce qu’elles ont de plus défectueux. S’il faut tout dire, nous devons plutôt prendre leurs mœurs et leurs habitudes que prétendre leur imposer les nôtres. »
Nos communautés proposent-elles un autre « art de vivre », une alternative face aux peurs, aux communautarismes, aux rivalités ethniques, aux tensions interreligieuses qui traversent nos sociétés ?
Dieu notre Père, tu aimes tous les hommes et dans ta miséricorde tu n’exclus personne. C’est « de l’inconnu et comme inconnu » que ton Envoyé est venu parmi nous, pour nous ouvrir à toi, toujours « plus grand » que nos conceptions, nos frontières, nos communautés et nos habitudes. Que ton Évangile nous libère de la peur des autres ; qu’il nous donne ce regard « chargé d’amour et de bienveillance » que Libermann portait sur les habitants de l’Afrique de son temps et qu’il nous conduise à de vraies rencontres avec ceux et celles vers qui tu nous envoies. Par Jésus le Christ, notre Seigneur. Amen |